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Biais statistique : un effet indésirable sur les données

LA SCIENCE DES DONNÉES

10 décembre 2025 12minutes

Cet article a été publié dans MedinLux et fait partie d’un effort de collaboration visant à rendre les concepts statistiques et épidémiologiques accessibles aux professionnels de la santé au Luxembourg.

Les études cliniques constituent la pierre angulaire de la médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine). Pourtant, leur validité peut être compromise par la présence de biais, ces erreurs systématiques qui altèrent l’estimation des résultats. Qu’ils surviennent lors de la sélection des participants, de la collecte des données, de l’analyse ou même après la publication, les biais peuvent conduire à des conclusions erronées et, in fine, influencer les pratiques médicales. Reconnaître leur existence, les prévenir autant que possible et les prendre en compte dans l’interprétation des résultats est une étape indispensable pour renforcer la qualité scientifique des travaux et garantir la pertinence des décisions cliniques qui en découlent.


Introduction

La fiabilité des études cliniques repose sur leur capacité à refléter la réalité. Or cette exigence est fragilisée par les biais, qui sont des erreurs systématiques déplaçant les résultats dans une direction donnée. Contrairement aux erreurs aléatoires, qui traduisent une variabilité inhérente mais neutre, les biais compromettent la validité interne, c’est-à-dire la solidité des conclusions tirées au sein même de l’étude, ainsi que la validité externe, autrement dit la possibilité de généraliser ces résultats à d’autres populations ou contextes.

Ainsi, une étude peut sembler cohérente dans son déroulement, mais si ses participants ne sont pas représentatifs de la population cible ou si les mesures sont faussées, ses conclusions perdront leur portée pratique. Reconnaître et limiter les biais constitue donc un enjeu majeur, tant au moment de la conception des protocoles qu’à celui de l’analyse et de l’interprétation des résultats publiés. Aucun essai clinique n’est exempt de biais, mais leur identification et leur prise en compte permettent de nuancer les conclusions et de renforcer la valeur des décisions médicales fondées sur les données.

BIEN SÉPARER LA NOTION DE BIAIS DE CELLE D’ERREUR ALÉATOIRE

Le biais apparaît dès que l’on procède à un échantillonnage. En pratique, il est rarement possible d’étudier l’ensemble de la population en raison de contraintes de temps et/ou de budget. On sélectionne donc un échantillon qui doit refléter au mieux la population cible (Figure 1).

Il est important de distinguer le biais de l’erreur aléatoire. Cette dernière, due aux fluctuations d’échantillonnage, affecte uniquement la précision des estimateurs et se répartit de manière similaire dans les groupes étudiés. Le biais, en revanche, déplace systématiquement les résultats dans une direction donnée. Pour reprendre l’image des fléchettes (Figure 2): la variance traduit la dispersion des tirs autour de la moyenne (plus ils sont regroupés, plus la variance est faible), tandis que le biais correspond à la distance de ces tirs par rapport au centre de la cible.

On distingue plusieurs grandes catégories de biais, selon le moment où ils apparaissent dans le processus de recherche : au recrutement des participants (biais de sélection), lors de la collecte des données (biais d’information), ou au moment de l’analyse (biais de confusion).

BIAIS DE SÉLECTION

Ces biais surviennent lors de l’inclusion, du suivi ou de l’exclusion de participants, rendant difficile la généralisation des résultats à la population générale. Ils apparaissent également lorsque les groupes comparés (cas/témoins ou exposés/non exposés) diffèrent de manière importante (par exemple, plus d’hommes dans un groupe ou moins de sujets jeunes dans un autre). Les biais de sélection peuvent conduire à une sous- ou à une surestimation de l’effet étudié. Ils sont divisés en plusieurs types.

Le biais d’échantillonnage

Ce biais est présent lorsque l’échantillon ne reflète pas la population cible : par exemple, si les participants proviennent uniquement d’un hôpital au lieu de sources variées.

Le biais de non-réponse

Celui-ci survient lorsque les personnes qui ne participent pas à l’étude sont statistiquement différentes des participants (en termes d’âge, de genre, de profession…).  La non-participation peut provenir d’informations qui sont jugées comme non pertinentes par rapport au sujet principal de l’étude, ou des questions sur des pratiques illégales entre autres. Ce biais est mesuré en comparant les caractéristiques des répondants et des non-répondants. Cela peut se contrer en proposant une contrepartie à la réponse de l’étude (monétaire ou non), l’envoi de rappels, etou par des questionnaires courts.

Le biais de volontariat

Aussi connu sous le nom de population volontaire ou d’auto-sélection, il s’observe quand seuls des volontaires participent à l’étude. Il s’agit généralement de personnes ayant un attrait pour la recherche et/ou concernées par leur santé. Ainsi, leurs caractéristiques peuvent être différentes de celles des personnes qui ne veulent pas participer (comme par exemple, des comportements moins à risque, une hygiène de vie plus « saine »…). C’est le pendant du biais de non-réponse.

Le biais de bonne santé des travailleurs

Aussi appelé effet du travailleur sain, il existe lorsque la sélection des participants ne se fait que chez des personnes occupant un emploi. Par exemple, les ressources humaines veulent faire une étude sur les troubles musculo-squelettiques dans une entreprise où les employés exercent un métier de bureau. L’enquête est faite sur les personnes présentes dans l’entreprise pendant une période. Indirectement, elle va exclure les personnes ayant les formes les plus aiguës de ces troubles, qui sont en arrêt maladie. Ainsi, la prévalence calculée sera sous-estimée.

Le biais de Berkson

Dans les études cas-témoins, ce biais (aussi appelé biais d’admission) apparaît quand on choisit les témoins uniquement parmi les patients hospitalisés. Ces témoins ne représentent pas la population générale, car la probabilité d’être hospitalisé dépend à la fois de l’exposition et de la maladie. Concrètement, une personne atteinte de plusieurs problèmes de santé a plus de chances d’être hospitalisée qu’une personne souffrant d’une seule maladie, ce qui fausse la comparaison. Pour faire le parallèle, c’est un peu comme vouloir savoir qui prend le train en ne regardant que les passagers de première classe : on risque de conclure que tout le monde voyage confortablement, alors qu’on ne voit pas ceux qui sont en seconde ou debout.

Le biais d’attrition

Visible dans les études longitudinales, le biais d’attrition apparaît quand les participants quittent l’étude. Leur abandon peut avoir différentes origines (insatisfaction du traitement, effets indésirables…), mais il est dépendant du traitement. Ainsi, cela a un impact sur le résultat final de l’étude, car l’effet du traitement testé peut être plus important que prévu. En effet, en 2012, une revue systématique (1) a été publiée, montrant qu’environ 1 essai sur 5 avait des conclusions qui n’étaient plus significatives, lorsque l’évènement d’intérêt avait été observé chez les personnes perdues de vue. Pour limiter ce biais, l’analyse en intention de traiter est fortement recommandée : elle inclut tous les participants, peu importe s’ils ont abandonné l’étude ou non.

Le biais de Neyman

Également appelé biais de prévalence-incidence, il est présent quand la sélection des participants se fait sur les cas prévalents (i.e. les survivants) plutôt que sur les cas incidents (les nouveaux cas). Ainsi, les cas très graves, ceux ayant une probabilité plus forte de décéder, ne sont pas inclus : l’échantillon ne sera pas représentatif de la population ayant cette pathologie.

La prévention des biais de sélection se fait principalement au moment du design de l’étude, par un choix rigoureux des sources (registre, relevé de prestations de santé, questionnaire, dispositifs portés…) et des méthodes de recrutement. Une fois les données collectées, il est très difficile de les corriger.

BIAIS D’INFORMATION

Ce biais porte sur l’information qui est collectée auprès des participants, pouvant conclure à un biais de classement : les sujets ne sont pas attribués au bon groupe «malades/non malades» ou «exposés/non exposés». Le biais de classement existe quand l’exposition est subjective, imprécise ou quand sa mesure évolue dans le temps. Un changement peut intervenir dans la réponse :

  • le biais de désirabilité sociale, provenant du participant, est le fait de répondre de manière plus «acceptable », plutôt que de dire la vérité. Par exemple, il/elle peut minimiser sa consommation d’alcool ou, au contraire, exagérer son activité physique;
  • le biais de l’observateur (ou de subjectivité, d’évaluation), provenant de la personne qui interroge le participant, induit une réponse au participant (consciemment ou non). L’une des manières de le contrôler est de masquer (rendre à l’aveugle) l’enquêteur/ le médecin qui intervient dans l’étude. Lorsqu’il s’agit d’une enquête faite avec des enquêteurs, une formation spécifique doit leur être donnée;
  • le biais de Hawthorne survient lorsque le participant va modifier son comportement, ses habitudes parce qu’il/elle se sait observé(e).

Le biais de mémoire (appelé parfois biais de rappel) est un biais cognitif. Il est observé lorsque les participants d’une enquête n’arrivent pas à se souvenir précisément d’événements qui leur sont arrivés, par exemple la date d’occurrence d’une maladie (ou de symptômes). L’idéal est d’avoir un intervalle de temps court pour définir l’exposition/la maladie. De plus, s’il s’agit d’une enquête suite à des actions (par exemple, suite à un séjour hospitalier), le faire dès que possible, pour éviter que seuls les «mauvais» côtés ne soient retenus.

Il existe aussi le biais du proxy, lorsque l’information est collectée par une personne intermédiaire (un proche, un membre de la famille, un aidant), et non pas par la personne directement concernée. La personne «proxy» a une vision incomplète et/ou biaisée de la réalité. Cela peut être le cas lors d’enquêtes sur les conditions de vie dans des maisons de soins, ou sur l’alimentation d’enfants (les parents ne sont pas forcément au courant de ce qui est réellement mangé dans les collectivités).

Le biais d’anticipation (lead time bias) est le fait de détecter une maladie plus tôt, donnant l’illusion d’une meilleure prise en charge de la maladie, alors que le traitement n’a pas d’effet sur la maladie. Pour résumer, on peut dire «on gagne du temps sur le diagnostic, pas sur la vie». La figure 3 illustre ce biais.

Le biais de durée (length bias), qui peut être confondu avec le biais d’anticipation, concerne plutôt des diagnostics de maladies lentes, c’est-à-dire que les personnes ayant une maladie moins sévère seront plus facilement détectées que celles ayant une pathologie plus sévère. Ici, nous sommes dans la situation «les personnes dépistées sont en meilleure santé».

Dans des études impliquant des outils de diagnostic, on observe un biais de vérification lorsqu’une seule partie des participants est testé, ce qui a un impact sur le nombre de faux positifs du nouveau test.

BIAIS DE CONFUSION

Ce biais intervient principalement lors de l’analyse statistique. Un facteur extérieur, lié à la fois à l’exposition et à la maladie étudiée, peut fausser l’interprétation de l’effet réel. Nous l’avions déjà évoqué dans l’article précédent consacré à la causalité.

ET APRÈS L’ÉTUDE?

Même une fois l’étude terminée, certains biais persistent. Le plus connu est le biais de publication, qui privilégie la diffusion des résultats «positifs» au détriment des résultats négatifs ou neutres. Un autre biais fréquent est le biais d’interprétation (ou biais de confirmation), qui consiste à privilégier les résultats allant dans le sens des hypothèses ou attentes initiales.

Take-home message

Il est difficile, voire impossible, de contrôler l’ensemble des biais dans une étude. Mais en avoir conscience et en connaître leur importance est essentiel: cela permet de mieux apprécier les forces et les limites des travaux publiés, de nuancer leur interprétation et, in fine, de renforcer la qualité des décisions cliniques fondées sur les données. La conception de l’étude est une étape d’autant plus importante pour la prévention des biais en mettant en place les méthodes adéquates par des spécialistes en méthodologie et en pré-spécifiant les hypothèses à tester de manière hiérarchique.

L’examen attentif de la section «Méthodologie» d’un article scientifique, bien que parfois jugé ardu ou rébarbatif, permet souvent de mettre en évidence la présence ou le risque de biais susceptibles d’altérer la validité des résultats.


Réferences

  1. Akl EA, et al. BMJ 2012;344:e2809
  2. https://catalogofbias.org/biases/lead-time-bias/

The epidemiostatistical series published in MEDINLUX.

Scientific Contact

Competence Centre for Methodology and Statistics (CCMS)

MEDINLUX

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